J’ai toujours adoré remonter les dispositifs de fraude numérique (les scams et autres) depuis 25 ans, époque des premiers phishing un peu sérieux (lire Comment agacer les scammers ? / Anatomie d’un (ph)fishing à l’Assurance Maladie / Abus de faiblesse numérique / Attention au twitter-fishing) . Mais j’avoue que ces derniers temps, IA générative oblige, ces dispositifs deviennent de plus en plus tarabiscotés et imaginatifs. De vraies petites campagnes de storytelling qui embarquent les futurs victimes dans des tunnels dont il est difficile de sortir.

Petit exemple avec une des idoles des scammers : Marion Cotillard (mais on trouve aussi Gad El Maleh, Paul Mirabel, Elise Lucet, etc.)

1- Point de départ : un fait divers inepte

Les scammers vont tout d’abord choisir un sujet bien bas du front. Quelque chose qui touche émotionnellement les personnes en situation de faiblesse cognitive (les spectateurs de TF1 ou de M6 par exemple). Le choix d’un tel sujet permet de n’attirer que des publics qui appréhendent le monde via des médias de mauvaise qualité. Donc des victimes potentielles (cf Abus de faiblesse numérique).

Dans mon exemple, le sujet est une question personnelle que Léa Salamé a posée à Marion Cotillard durant un JT. Un sujet qui semble être très connu, notamment par la presse people et les médias putassiers. Pour ma part j’ai du faire une petite recherche pour comprendre l’origine de cette histoire (je ne regarde pas la télé hors Arte) qui se résume à une question de Salamé sur le petit copain de Cotillard, même que c’était prévu par le script mais que Cotillard l’a quand même mal pris.

2- Une publicité irrésistible diffusée sur le réseau Meta

Comment on tombe dans ce scam ? Mon point d’entrée sur ce scam a été Instagram. Lors de ma veille mensuelle, une publicité sponsorisée par le Figaro est apparu, montrant une image de Cotillard en pleurs, emmenée par des policiers. Le titre (en gros) : le bad buzz force Tf1 à couper la séquence avec Cotillard arrêtée par la police. Je n’ai pas eu la présence d’esprit à ce moment de screenshoter la pub que je ne reverrai plus (j’en ai retrouvé une autre avec Elise Lucet ci-dessous).

J’avoue qu’il s’agissait d’un magnifique appât à clic. Pour ma part, me sentant largué par l’actualité people, et voyant le logo du Figaro (gage de qualité-lol), j’ai cliqué pour en savoir plus.

3- Un site fake indétectable

Il est très facile de créer un site fake aujourd’hui. Le clic sur cette publicité m’emmène sur un lien qui affiche un faux site généré. En jouant avec, j’ai pu voir que ce site pouvait prendre plusieurs habillages (Le Figaro, Le Monde, …). Les habillages sont excellents, et quasi-indetectables au premier regard. Sauf évidemment si vous regardez les URL des sites de la forme lefigaro.sbs, pas très net.

En dehors de ça (et de l’absence de pubs, mais j’ai testé avec mes adbloqueurs gonflés à bloc donc c’est normal), on y croit. Surtout que la photo de Cotillard les yeux rougis (de colère, de tristesse, de manque de sommeil, d’avoir trop regardé son smartphone ?) attire vite le regard.

Pauvre Marion.

4- Un bien beau storytelling barré

Le tunnel narratif commence là. Et la suite est magnifique. Il commence à évoquer un « grave scandale » durant l’émission « JT de 20h » (qui sent bon l’IA générative), qui a forcé TF1 à effacer l’enregistrement.

Lors de la diffusion en direct de l’émission « JT de 20 h », un grave scandale a éclaté entre la journaliste Léa Salamé et son invitée, Marion Cotillard.

La transition se fait rapidement entre le grave scandale et une sombre histoire d’argent. Ainsi Marion a un secret pour être devenue riche. Et ce secret, ce n’est pas de travailler dur… Quel scandale !

Évidemment, le lecteur, comme la fausse Léa Salamé n’y croit pas. Il veut des preuves. Mais ça rend Marion en colère. Et l’IA générative du texte aussi d’ailleurs car elle pense que Marion est un homme (quand je vous dis que l’IA générative n’est pas fiable).

Il est temps de prouver ses dires. Alors Marion inscrit Léa Salamé sur l’application « Lune Finwex / Clair Invion / etc. » (des pages de scams qui changent de noms – générés automatiquement aussi) en posant 250€ sur son compte. Incroyablement, 30 min après, Léa Salamé a gagné 80€ (non imposables).

Alors Marion Cotillard envoie le lien du podcast à la rédaction (du Figaro – suivez) car « sachez qu’il risque d’être supprimé sous peu« . Car c’est un secret, donc il faut que tout le monde le sache.

Le média décide alors de fouiller cette histoire. L’un de nos rédacteurs a décidé de mettre cette plateforme à l’épreuve et a rédigé un rapport détaillé sur son expérience.« . Le rapport détaillé comprendra moults captures d’écran pour expliquer comment inscrire son IBAN sur l’application et gagner rapidement 4000€. Mais sachez-le, « Attention! Seuls les citoyens français peuvent effectuer un dépôt sur la plateforme« .

Ensuite, un call to action résume en 6 points comment donner son argent aux scamers, du 1: cliquez sur le lien fournit par Marion Cotillard au 6 : L’enregistrement du compte sera encore gratuit jusqu’à la fin de la journée du 16.10.2025, donc dépéchez-vous.

Pour finir, une série de commentaires complètement fake qui vante l’application. Preuves à l’appui, juré, craché.

Un storytelling complètement barré mais qui tient le coup grâce à une masse de contenus qui le crédibilise. Je pense que les scammers doivent remercier tous les jours l’IA générative qui leur permet de générer automatiquement de si beaux scénarios.

Conclusion

Cette arnaque est hyper-facile à identifier. Elle utilise pour se propager le service (instagram) d’une société très identifiable (META) qui, semble-t’il, n’est pas inquiétée. Il serait également assez facile de remonter le système de paiement pour identifier la société (ou les particuliers – mais aujourd’hui ce sont des sociétés professionnelles) qui récupère l’argent.

Alors je me pose toujours la même question (depuis 20 ans) : que fait l’Etat ?
C’est très bien de proposer une plateforme de signalement aux victimes de scam. Mais à quoi ça sert quand elles n’ont plus que leurs yeux pour pleurer (car les banques, elles, ont mis en place des dispositifs pour ne plus rembourser ces arnaques).

Et ce n’est pas une question de moyens, car si l’état a les moyens numériques d’interdire le porno en ligne et les sites torrents, il a carrément les moyens de remonter à l’origine de ces arnaques (Meta + scameurs). Donc ils pourraient travailler sérieusement sur ce sujet, mais non.

Alors c’est du mépris. Celui de l’Etat pour ces gens qui se font arnaquer. Des gens potentiellement non informés ou sous-informés, en position de faiblesse numérique, voire incapables de se défendre contre ces arnaques de plus en plus élaborées.

En 2025, notre pays est attaqué à la fois de l’extérieur par les Russes , les Chinois et leur manipulation de l’information, mais aussi de l’intérieur par les scammeurs qui ratissent les pauvres gens.

Mais je me demande finalement si notre plus grand danger ce n’est pas cette oligarchie française qui nous gouverne, qui ne comprend rien au numérique en dehors du profit immédiat dont ils peuvent en tirer. Pour financer l’IA générative y’a du monde mais pour combattre les scammeurs, y’a plus personne.

PS : ah bah tiens, je viens de tomber sur la dernière vidéo de Micode qui parle du sujet avec cybermoustache.